Caché derrière le haut de la sépulture, ses outils posés sur la
pierre noire, c’est au bruit régulier du marteau que l’on repère Ludovic
Royannez.
À 47 ans, il est l’un des derniers tailleurs de pierre ornementales
du cimetière de Pantin – et il ne manque pas de travail. À bord de son
camion il sillonne les longues allées du cimetière et s’attèle aux
tâches que lui commandent les marbriers, en général de la gravure de
noms et de dessins mais aussi divers travaux de fixation : bougies ou
portraits.
Cet immense îlot de verdure de 150 000 sépultures et de 110 hectares aux portes de Paris est son bureau.
Ça démarre toujours de la même façon, une fois les informations techniques récupérées, Ludovic se rend sur la tombe à graver, se gare aux abords de la section où se trouve la sépulture et tire de sa voiture ses boîtes à outils.
Le gros bloc de bois percé de trous sur lequel il s’assoit pour être à hauteur a été fabriqué par son père, lui-même graveur. C’est une histoire de famille chez les Royannez : avant son père, « le plus précis, le plus technique de la famille », son grand-père et son arrière-grand père exerçaient également ce métier. En plus de sa formation, il a appris auprès d’eux. Ses aînés travaillaient à Pantin aussi, il peut encore voir leur travail et même parfois repasser dessus.
Première étape : arriver sur la tombe, évaluer le travail à fournir et la taille des inscriptions à graver.
Ludovic est plutôt prudent et c’est justifié : une erreur sur la pierre tombale et c’est le monument qui repart chez le granitier pour effacer toutes les inscriptions et être repoli, à sa charge. Il y a quelques jours il a appelé, « Je devais graver la pierre tombale d’une dame de 107 ans, j’ai cru que l’on m’avait donné une mauvaise date». Aujourd’hui, c’est simplement pour s’assurer que rien n’a été oublié sur le devis.
Devant l’imposant bloc de granit, il faut commencer par écrire au crayon rouge le texte, les lignes et les symboles – ici une étoile de David en haut de la pierre. Les tailleurs ont tous des lettres et chiffres qu’ils apprécient plus ou moins, lui n’aime pas les 2, pas super pour cette année.
Le taillage commence en suivant les tracés dessinés au crayon. Cette partie est la plus longue et la plus délicate, il ne faut pas faire d’erreur et le granit largement utilisé aujourd’hui est plus dur que le marbre, les outils rebondissent. Il faut une certaine technique et beaucoup de pratique pour maitriser le geste.
Une fois la gravure effectuée, Ludovic peint les lettres d’un liquide tantôt blanc, tantôt jaune qui permettra d’appliquer et de retenir les poussières d’aluminium ou la feuille d’or qui donneront aux lettres et symboles l’aspect brillant qu’on leur connaît.
Ce travail solitaire – et un peu bruyant – ne lui laisse pas toujours l’occasion de beaucoup discuter alors, en tant qu’amateur de radio, il travaille souvent avec son casque audio vissé sur la tête.
Entre l’application de la peinture et les feuilles d’or ou poussières d’aluminium se passe un temps de repos très important qu’il maîtrise parfaitement. Cela lui laisse le temps de manger, assis à l’avant de son camion en se rappelant ce que racontait son grand-père à son père «avec une lettre taillée, je peux manger au restaurant le midi», aujourd’hui, il en faudrait plutôt trois. Souvenir d’un temps où il était bien plus coutume d’y manger tous les jours.
Les histoires ne l’affectent pas. Impossible de faire ce métier sinon. Mais parfois un peu quand même «un décès tragique, un enfant en bas âge». «La maison des morts» est son bureau, ses habitants semblent le suivre. En plus de tailler les inscriptions dans la pierre, il colle les portraits sur les tombes. En attendant, ils patientent sagement dans sa voiture.
À la fin de la journée, Ludovic reprend sa voiture pour rentrer chez lui. Dans ce véhicule rempli d’outils en tous genre, une note personnelle pour celui qui a, en plus de sa formation, pris des cours de calligraphie. Un vers d’Apollinaire pour sa mère décédée : «J’ai embrassé l’aube d’été».